Gouttes de sommeil
Dans l’appartement d’Alice, tout était calme. Même les voisins et leurs enfants bruyant n’avaient pas encore émis le moindre cri qui vrillait les oreilles. C’est la sensation de froid qui a éveillé Alice. Elle l’a d’abord senti sur son nez, mais ça s’est vite propagé sur son visage avant d’attaquer le haut de son corps, ses jambes, jusqu’au bout de ses orteils. Elle a soulevé les draps, la bouche encore pâteuse et les yeux à moitié collés par la poussière de rêves, a enfilé ses chaussons et a tenté de se redresser… avant de s’effondrer sur son lit.
— Mais quelle heure il est ? a-t-elle gémi. Quoi ? 8h32 seulement ? Moi qui avais prévu une grasse mat’ jusqu’à midi au moins.
Elle a tenté de se relever à nouveau avant de se frotter les yeux avec le bout des doigts. Elle y a senti de l’humidité. Quand elle a regardé, le bout de ses doigts était mouillé.
— Je pleure ? Mais pour quelle raison ? En plus, je ne me souviens même plus de mon rêve.
Alice a fait une percée jusqu’à la cuisine et s’est laissée tomber sur le tabouret. Elle s’est penchée pour appuyer sur le bouton de la machine à café, y a glissé une capsule, a trouvé une tasse à moitié propre et a pressé le bouton. La machine a vrombi et l’odeur du café a empli ses narines pendant que le liquide brunâtre remplissait sa tasse. La jeune femme grelottait dans son pyjama de flanelle.
— On dirait que le chauffage ne s’est pas mis en route.
Qu’est-ce qu’il se passe encore ? a-t-elle dit en râlant.
Elle s’est dirigée vers le thermostat mais tout semblait opérationnel. Elle a monté la température de 2 degrés pour donner « un petit coup de fouet », puis s’est assise dans le divan. La télécommande en main, elle a allumé le poste de télévision mais n’a vu que de la neige sur l’écran.
— Allons bon, maintenant c’est la télé. Moi qui voulais passer une journée calme !
Les quelques claques données à la télé n’ont rien changé à la situation. Elle a pris son téléphone portable sur le buffet, l’a débranché de son chargeur et l’a consulté. Aucun message reçu. Elle s’est rendue sur ses réseaux sociaux préférés mais il n’y avait rien de neuf depuis la veille. Evidemment, les gens devaient dormir à cette heure-ci. Elle a eu une sensation de froid qui lui a parcouru tout le corps et s’est mise à claquer des dents.
— Mais c’est pas possible ! a-t-elle hurlé. Bon, il n’y a qu’un bain chaud qui pourra me réchauffer.
Elle est entrée dans sa salle de bain vieillotte, a laissé couler l’eau brûlante dans la baignoire et y a ajouté un peu de bain moussant. Autant se faire plaisir, après tout ! Une fois que l’eau a atteint une hauteur raisonnable pour elle, elle s’est dévêtue, a glissé un pied dans l’eau, puis un autre, et s’est laissée peu à peu immergée dans la douce chaleur qu’elle ressentait.
Durant ce moment hors du temps, Alice en a profité pour fermer les yeux et se détendre. C’est étrange tout de même, car même dans de l’eau bouillante, elle sentait encore ce froid au plus profond de ses os. Et elle n’arrivait pas à chasser cette fatigue qui la suivait depuis son réveil. Elle a ouvert les yeux et a regardé par la fenêtre juste au-dessus de la baignoire. Depuis le cinquième étage, elle avait une excellente vue sur les environs. Pourtant, les rues étaient totalement désertes et la brume s’installait de plus belle encore.
— D’accord, c’est dimanche, a-t-elle pensé, mais il doit bien être neuf heures passées à présent.
C’est étrange qu’il n’y ait personne en rue, qu’il n’y ait pas la file chez le boulanger ou que personne n’aille promener son chien au parc du coin.
Alice s’est relevée et a senti sa tête qui s’est mise à tourner. Elle s’est rattrapée sur le bord de la baignoire et a attendu que sa vue et sa tension se stabilisent. Elle s’est rapidement séchée, a enfilé le pyjama qu’elle venait de quitter 20 minutes plus tôt et s’est regardée dans le miroir. Ses cheveux partaient dans tous les sens, elle avait de gros cernes sous les yeux et son visage semblait encore bouffi de son sommeil.
Lorsqu’elle est sortie de la baignoire et qu’elle a aperçu sa tasse de café près de la machine à café dans la cuisine, elle s’est figée.
— Comment c’est possible ? J’ai pris ma tasse avec moi dans le salon, je l’ai posée sur la table quand j’ai donné des claques à la télé et je l’ai laissée là. A aucun moment je ne l’ai ramenée dans la cuisine !
Elle a senti son pouls qui s’accélérait et la panique qui montait en elle. Elle s’est jetée sur son téléphone. Aucun message. Elle a essayé d’appeler sa mère. Le téléphone a sonné une fois avant que la connexion ne se rompe. Et puis, son regard a été attiré vers le haut de son téléphone portable. Elle a lu l’heure qui y était notée : 8h32.
— Mais c’est impossible ! a-t-elle hurlé. Je me suis levée à 8h32 et avec tout ce qu’il s’est passé, il ne peut pas être encore si tôt.
Elle s’est précipitée vers sa chambre, est entrée avant de s’arrêter net. Elle l’a vu. Ou plutôt, elle s’est vue elle. Elle était encore allongée dans son lit, sa main gauche qui pendait, sa bouche grande ouverte.
À pas lents, elle s’est approchée de son corps. Suis-je encore endormie… ou suis-je morte, a-t-elle pensé. Elle est arrivée près du lit, s’est agenouillée, a attrapé la couette du bout des doigts et l’a tirée d’un coup sec.
NOIR.
David Giuliano – 2024